Jean-Baptiste Caron

FR

Les œuvres de Jean-Baptiste Caron nous offrent souvent un sentiment ambivalent. A chaque fois de légères perturbations alimentent notre imaginaire. On se retrouve – sans même s’en rendre compte – à évoluer dans un univers suspendu. Les déclencheurs de ce basculement proviennent de jeux avec la gravité, l’immatérialité, l’optique… Basculement alors qu’il semble délicat de se frayer un chemin. Des boules de béton sont ainsi coincées dans les alvéoles de sphères pourtant si transparentes ; nous expirons un peu de nous sans être happés par les miroirs ; la matière a été creusée sans avoir été transpercée… Si l’idée de passage est bien présente il s’agit plus ici d’évoquer des circulations. Alors que nous butons sur les accès envisagés, notre regard et notre esprit bifurquent pour parcourir les mouvements interceptés par diverses matières. En captant ces différents mouvements1 (suspendu, dévié, sous-entendu, imprimé, figé, etc.) l’artiste nous donne à voir différents états qu’il s’agisse de transformation, de gravité, d’équilibre / déséquilibre, de presque rien. En captant ces différents mouvements: suspendu, dévié, sous-entendu, imprimé, figé, etc. Il nous donne à voir le Temps. Nous nous retrouvons à faire l’expérience du temps qui est, qui passe ou qui est passé. Certaines oeuvres ne donnent aucun indice sur la faisabilité de leur condition puis à l’inverse chez d’autres on peut, par esprit de déduction, visualiser les gestes qui ont été nécessaires à la production de la forme. Ce temps propice à la réalisation de l’oeuvre est ici stoppé puis figé au point d’en imprégner l’oeuvre. Parfois il nous est aussi donné à voir le temps qui s’étire. Il est ainsi décortiqué dans ces moindres détails. C’est ainsi que des secondes deviennent des millénaires, qu’une sphère ne prend jamais son envol, que des matières se liquéfient, se ramollissent sans pour autant passer au stade suivant. Un carottage du temps se déploie sous nos yeux. Nous avons également le temps suspendu à la limite du vacillant, nous faisant appréhender le moindre claquement de doigt pouvant tout ramener dans le cours du temps. Si tel était le cas des chutes seraient à envisager. Alors que Sisyphe s’est vu condamné à faire rouler éternellement un rocher sur une colline qui – avant d’en atteindre le sommet – en redescend à chaque fois, Jean-Baptiste Caron suspend un instant cette boucle infernale. Nous laissant ainsi dans la crainte d’une chute ou d’un envol pouvant arriver à chaque moment. D’autre fois, l’artiste nous accorde brièvement la possibilité de voir l’œuvre dans son entièreté. Le temps nous file entre les doigts. Aucune possibilité nous est offerte pour le figer. L’oeuvre nous est révélée dans un souffle aussi éphémère qu’impalpable. Plus récemment nous découvrons le temps décalé. Nous pouvons re-voir ou ré-entendre ce qui a eu lieu ici même, là où nous nous trouvons. Il nous est également signifié que notre présence n’est pas sans conséquence dans l’ordre des choses. Plus Jean-Baptiste Caron nous donne à voir plus les règles de la logique semblent s’effacer nous laissant croire à la seule action de la magie. Effacement pour mieux (dé)voiler ce qui est donné à voir. L’artiste agit moins dans un geste démiurgique que dans un acte révélateur. Il se trouve finalement être un passeur offrant la possibilité au regardeur de devenir actif. Passeur révélateur non sans une pointe d’humour car il vient jouer avec le Temps. Il le perturbe, nous perturbe au point que l’on se demande ce qui est illusion et ce qui ne l’est pas.

 

Leïla Simon

EN

Jean-Baptiste Caron’s works often provide us an ambivalent feeling. Each time the slightest disturbances feed our imagination. We find ourselves evolving in a suspended universe, without even realizing it. The failover triggers come from games with gravity, immateriality, optics… Failover even if it seems delicate to find our way. In this way, concrete balls are trapped in the alveoli of so transparent spheres; we exhale a little of ourselves without being caught by the mirrors; matter was dug without having been pierced… If the idea of passage is really present, it is more a question of evoking circulations here. As we stumble upon the proposed accesses, our gaze and our mind bifurcate to browse the movements intercepted by various matters. By capturing these various movements (suspended, deviated, implied, printed, fixed, etc.) the artist gives us different states to see whether it is about transformation, gravity, balance / imbalance, hardly anything. He gives us the Time to see. We find ourselves experiencing the time that is, that passes or that has passed. Some works do not give any clue as to the feasibility of their condition and then, conversely in others, one can, inferencing, visualize the necessary gestures to produce the form. This time favourable to the realization of the work is here stopped then fixed to the point of impregnating the work of art. Sometimes we are also given to see the time stretching. It is thus dissected down to the smallest details. This is how seconds become millennia, how a sphere never takes flight, how materials liquefy, soften without going on to the next stage. A coring of time unfolds before our eyes. We also have suspended time to the limit of the flickering, making us apprehend the slightest finger snap that can bring everything back in the course of time. If this was the case, falls would have to be considered. While Sisyphus was condemned to eternally roll a rock on a hill which – before reaching the top – goes down each time, Jean-Baptiste Caron suspends for a moment this infernal loop. Leaving us with the fear of a fall or a flight that could happen at any moment. At other times, the artist gives us a brief possibility to see his work in its wholeness. We’re running out of time. We have no proposals to stop it. The work is revealed in an ephemeral as impalpable breath. More recently we discover the shift of time. We can see or hear again what happened right here, right where we are. We are also told that our presence is not without consequences in the scheme of things. The more Jean-Baptiste Caron gives us to see, the more the rules of logic seem to fade away, letting us believe in the mere action of magic. Delete to reveal what is given to see for the best. The artist acts less in a demiurgical gesture than in a revealing act. Finally, he happens to be a Usher offering the viewer the possibility to become active. A revealing usher not without a touch of humour as he plays with Time. He disrupts it, disturbs us to the point where we wonder what is illusion and what is not.

Leïla Simon